Un des lecteurs du blogue m’a envoyé, il y a quelques jours, une copie d’un courrier des lecteurs, publié dans le journal gratuit « Métro », diffusé à Montréal. Le courrier est très bon, sans haine, tout en s’efforçant de rester objectif ou, du moins, assez réaliste. Je connais d’ailleurs d’autres immigrants français, qui pourraient très bien se retrouver là -dedans.
Je vous dirais aussi que le discours de l’auteur, Stéphane Batigne, change radicalement avec celui des aigris de service, qui ont une perception très manichéenne de la réalité : incapables de peser leurs torts, la faute revient toujours aux autres, en général et au Québec, en particulier.
Mais je vous laisse d’abord prendre connaissance du courrier de Stéphane Batigne :
Pourquoi je ne me sens pas Québécois
Cela fait 15 ans que j’ai immigré à Montréal, et je me sens très Montréalais. Montréal est ma ville, celle que je connais le mieux, celle où j’ai vécu le plus longtemps. Je m’y suis marié, j’y ai eu un enfant, j’en ai élevé un autre, j’y ai travaillé, acheté une maison et fondé deux entreprises, j’ai écrit des dizaines de textes sur la ville et quelques livres. J’y ai de nombreux amis, des souvenirs, des habitudes. Et surtout, Montréal est une ville où vivent un grand nombre de gens qui n’y sont pas nés. Il est donc très facile de s’y intégrer parce qu’il n’y a pas de bloc culturel majoritaire.
Être Québécois, c’est autre chose. Je ne me sens pas Québécois parce que je ne sens pas que les Québécois me considèrent comme tel. Il est difficile d’appartenir à un groupe quand les autres membres du groupe vous renvoient l’image d’un étranger. Pour la plupart des Québécois, je suis un Français. À cause de mon accent bien sûr, de ma manière d’être aussi, peut-être. Lorsqu’une serveuse de Charlevoix me parle comme à un touriste et me précise que le pourboire n’est pas inclus dans la facture, je ne me sens pas Québécois. Lorsqu’une infirmière du CLSC me précise qu’il est important de mettre des bottes à mon bébé pour qu’il n’ait pas froid aux pieds en hiver, je ne me sens pas faire partie du groupe. Lorsqu’un vendeur de la SAQ me demande si je sais ce qu’est l’été des Indiens, que dois-je comprendre? Lorsqu’on s’adresse à moi en «perlant» maladroi te ment, de peur de faire des fautes de français, comment pourrais-je me sentir sur la même longueur d’onde que mon interlocuteur?
Cela dit, je ne définis pas mon identité par une appartenance nationale. J’ai eu un parcours de vie qui m’a fait vivre des expériences variées, qui m’a fait rencontrer de nombreuses personnes différentes et découvrir plusieurs cultures, et c’est ce parcours qui m’a construit tel que je suis. Ce qui me lie aux lieux, ce sont surtout des personnes, des sensations, des odeurs, des sons, des paysages. Je suis très attaché aux détails de la vie et ces moments privilégiés m’ont été donnés aussi bien en France, au Brésil, en Allemagne ou en Argentine qu’au Québec. Finalement, se sentir Québécois ou pas, ce n’est peut-être pas très important. Même après 15 ans.
– Stéphane Batigne, auteur de « Moi, mes amis ont beaucoup voyagé – Entretiens sur l’exil et le voyage ».
(Source : Journal Métro du 22 décembre 2010)
Vous voyez ici, il s’agit d’un point de vue personnel, celui de l’auteur. Il ne dit pas que tout est blanc ou que tout est noir, il parle de sa perception, de son vécu… bref, ça transpire la sincérité et l’honnêteté.
Mais mon point n’est pas là . Mon point n’est pas de vous montrer la différence entre un discours intelligent et constructif, avec le discours haineux, provocateur et destructeur que l’on lit parfois ailleurs sur le net. Non. Mon point, c’est avant-tout de parler des différences de perceptions.
Le modèle de « l’immigrant type » n’existe pas !
Ça peut paraître très logique de prime abord, mais c’est quelque chose qui est, malheureusement, souvent oublié : il n’y a pas de modèle mathématique de l’immigrant. En clair, il n’y a pas de « standard », d’immigrant « type », auquel l’on pourrait se rattacher afin de se comparer. C’est certain que lorsque l’on entame une immigration, on essaie de se rassurer et c’est bien normal. Vais-je trouver un emploi ? Vais-je pouvoir m’intégrer facilement ?
Alors on cherche des comparaisons. « Ah ! Celui-ci est informaticien, comme moi, et il a réussi ! » et l’on s’imagine que cela va être de même pour nous ! Un autre a le même âge, le même niveau d’études, une expérience comparable et il a échoué… cela voudrait-il dire que ceux qui répondent à ce profil courent également à la catastrophe ? Dans les deux cas, NON !
Deux immigrants, deux perceptions
Vous voyez, pour ma part, cela fait près de dix ans que je suis au Québec, à Montréal. Soit moins longtemps que l’auteur du texte du journal Métro. Et pourtant, je vois des différences notables avec son vécu.
D’abord, même si les Québécois voient bien (à mon accent) que je suis Français, la grande majorité perçoivent également sans peine, que je suis ici depuis quelques temps… bref, que je ne suis pas un touriste. Les intonations, le vocabulaire utilisé, la facilité que j’ai de tutoyer… sont autant « d’indices » qui trahissent, outre mes origines françaises, mon appartenance à la communauté montréalaise. Et cela n’est on ne peut plus normal, je suis un Montréalais d’origine française : c’est la réalité.
Ainsi, contrairement à Stéphane Batigne, jamais l’on m’explique comment fonctionnent les pourboires ici, jamais j’ai l’impression d’être pris pour un « touriste »… les seules fois où cela a pu arriver, c’est lorsque j’étais entourés d’autres Français ou lorsque je venais d’arriver au Canada. Mais cette perception, comme celle de M. Batigne d’ailleurs, pourrait être vécue dans d’autres pays ! Immigrez aux États-Unis, ou en Australie ou ailleurs… comment imaginez que l’on puisse vous voir autrement que comme un Français ? Au moins sous certains aspects !
Est-ce que je me sens Québécois ? Non… enfin, oui, mais certainement pas à 100%. Mais où est le problème vu que c’est la réalité ? J’ai vécu également huit années à Lille, dans le Nord de la France. C’est ma deuxième ville d’adoption, je m’y sens comme chez moi… je m’y sentais Lillois, mais certainement pas à 100%. Où est le mal, puisque c’est ce que je suis : ni totalement Québécois, ni plus totalement Français… Pourquoi faudrait-il voir cela comme un handicap ?
Par contre, ça fait déjà un bon moment que je ne me considère vraiment plus comme un immigrant. Je suis peut-être un amalgame de choses, mais pas un immigrant.
S’inclure soi-même avant d’être inclus
Autre perception également, je me sens inclus dans la société québécoise. Lorsque je parle du Québec je dis naturellement « nous » et non pas « eux ». Je sais que cela peut faire un peu caricature, mais croyez-moi, si vous-mêmes vous faites la distinction entre les Québécois et votre personne, comme immigrant, comment pouvez-vous imaginer trente secondes que « les autres », les Québécois, vous incluront dans le groupe ?
Pour être inclus par les autres, il faut d’abord et avant-tout s’inclure soi-même ! Et non pas l’inverse ! Par contre, ça doit venir naturellement, n’imaginez pas que le fait de bouffer de la poutine, de regarder un match du Canadien en séries ou d’acheter un Kanuk suffirera à vous transformer en Québécois après deux mois… Non. Il faut de la patience, ne même pas y penser, juste vouloir vivre dans cette société, l’apprécier et vouloir la comprendre. Quelle nouvelle : immigrer, c’est aussi faire des efforts !
Peut-être que, comme Stéphane Batigne, au bout d’une décennie, vous aimerez Montréal ou le Québec, sans pour autant vous sentir Québécois. Peut-être qu’au contraire, vous vous sentirez Québécois bien plus vite que vous l’auriez imaginé. Cela ne peut pas se décider à l’avance… et l’un et l’autre ne sont pas gages d’échec ou de réussite.
Par contre, tout comme Stéphane Batigne, gardez cette sérénité et restez constructif. Vous y gagnerez au niveau de votre santé mentale et rendra votre vie nettement plus agréable. Des difficultés, il y en a, comme il y en aurait eu en France. Les obstacles sont peut-être un peu plus nombreux, puisque vous avez immigré, mais le danger serait de les voir comme des signes que cette société ne veut pas de vous.
Oui, cela demande du courage, souvent, de l’abnégation, parfois, mais la récompense à la fin en vaut le détour.