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Repartir à zéro ?

Cela fait partie des lieux communs que vous entendez, ou que vous entendrez souvent en tant qu’immigrant, de ces idées qui ont la vie dure et qui, à la longue, peuvent parfois même agacer. La fameuse idée préconçue qui consiste à croire qu’en immigrant on recommence sa vie à zéro.

Début novembre, lors de mon séjour en France, j’ai encore eu droit aux questions d’usage : « pas trop froid au Québec ? », « tu as ramené du sirop d’érable ? »… puis la fameuse question inéluctable : « pas trop difficile de repartir à zéro ? ». Hum…

Il est clair que sur un certain nombre d’aspects, il est exact qu’en tant qu’immigrant, on part de rien, ou de pas grand chose. Au niveau social, il faut construire un cercle d’amis, au niveau de l’expérience professionnelle « locale », au niveau des mÅ“urs qui diffèrent beaucoup de l’Europe… Ce qui est plus gênant, c’est que la question est posée de telle manière qu’elle laisse croire, qu’en immigrant, on remet tous les compteurs à zéro et qu’on recommence une nouvelle vie. La méthode forte en somme.

J’ai souvent eu l’occasion de le dire, mais aussi de l’écrire dans ma première chronique il me semble, mais la vie est à comparer avec un livre, ou plutôt un ouvrage (le double-sens me plaît beaucoup). Chaque étape de la vie est un nouveau paragraphe, ou même un nouveau chapitre. Le fait de tourner une page n’a jamais effacé celles qui la précédait. Tout ce qui s’est passé auparavant est encore là, sous la main.

L’expérience professionnelle, mais aussi l’expérience de vie que vous avez pu acquérir dans votre pays d’origine, vos souvenirs, vos émotions, votre philosophie, vos valeurs, votre perception des choses sont encore en vous. Et même si certains de vos acquis devront s’adapter à la mentalité d’ici, les fondements resteront souvent les mêmes.

Tout cela fait de chaque individu, une richesse. C’est aussi pour cela que le Canada et le Québec souhaitent accueillir des immigrants. Ils vous ont choisis, ou vous choisirons, parce qu’ils pensent que vous pourrez apporter quelque chose au pays, en fonction de ce que vous savez faire, en fonction de vos capacités, de votre adaptabilité. Et tout cela, c’est de part votre vécu que vous les avez obtenus.

En échange, le pays vous apportera une qualité de vie incomparable, une tranquillité d’esprit et surtout, la sécurité qui fait bien défaut du côté de l’Europe. Pour d’autres, le pays apportera simplement la paix qu’ils n’ont pas toujours forcément connu auparavant.

Donc, toute cette richesse que nous avons en chacun de nous, contribuera à faire avancer le pays ou, plus modestement, les entreprises dans lesquelles vous pourrez travailler. Tout comme l’on fait ceux qui vous ont précédés et tout comme le feront vos enfants.

Notre vie, on ne la recommence pas, on la poursuit ; il n’y a que la destination qui a changé !

Chronique parue sur le site immigrer.com

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Détachement

Nous parlons souvent ici de l’intégration, des difficultés que les immigrants peuvent rencontrer en arrivant au Québec et au Canada. Certes, il est vrai que l’intégration est l’étape la plus difficile lorsqu’on arrive ici, mais il faut également parler des liens que l’on conserve (ou non) avec son pays d’origine.

En posant ses valises dans son nouveau chez-soi, on s’imagine souvent qu’avec les nouvelles technologies (Internet et satellite), qu’avec la baisse des tarifs téléphoniques d’outre-mer, on puisse conserver de forts liens avec ses amis, mais aussi continuer à rester informer de ce qui se passe dans votre pays. À court terme, c’est possible. Mais le lien se brise, au moins en partie par la suite.

Au début du mois, je suis parti dix jours en France, visiter ma famille et également passer quelques jours avec des amis et des anciens collègues. En me baladant, je tombe sur une publicité de « Télé Poche » ou autre « Télé 7 jours » sur laquelle on lit « Jennifer, les raisons de son absence »… et de me dire en moi-même « mais c’est qui donc cette Jennifer ? ». Plus tard, lassé par une journée de visites, profitant d’un magnifique soleil normand, j’allume la télé et regarde une émission de variété. On y parle d’humoristes dont je n’ai jamais entendu parler, mais « ils remplissent les salles en ce moment lors de leur tournée » assure la présentatrice. Je suis bien content pour eux !

Ouf ! En utilisant la zappette, je découvre que Michel Drucker est toujours là. C’est presque un soulagement. Mais reste qu’il est assez incroyable de voir qu’on puisse facilement être déconnecté de son ancien pays et assez rapidement.

Mais tout ça reste très anecdotique. Néanmoins, il faut bien constater que plus le temps passe, plus on se détache de pas mal de choses.

En arrivant à Montréal, je me souviens que je consultais presque quotidiennement les sites Internet d’actualités françaises, histoire de me tenir au courant. Je ne ratais jamais une émission des « Guignols de l’info » en visitant le site de Canal plus, j’essayais de regarder le journal de France 2, retransmis sur TV5 ou RDI et j’achetais chaque vendredi le Figaro (édition du jeudi) pour pouvoir lire mon cher supplément littéraire hebdomadaire.

Aujourd’hui, j’ai abandonné toutes ces (mauvaises ?) habitudes. D’abord parce que je n’y trouve plus le même intérêt, puis aussi parce que je n’ai plus le temps. De plus, « les Guignols » sont devenus franchement nuls et ont perdu encore un peu plus de leur objectivité, puis de ce qui se passe en France, franchement, je commence à m’en foutre royalement !

Il est clair que lorsque l’on vit au Québec ou au Canada, on se préoccupe plus de l’arrivée de Paul Martin à la tête du Parti Libéral du Canada, que de l’augmentation des prix à la consommation en France. On s’inquiète plus de l’augmentation des prix des taxis québécois que du prix de la carte orange en Ile-de-France.

Tout cela reste très anecdotique, certes, mais cela reflète bien ce qui se passe pour chaque immigrant : on se promet de conserver un minimum de lien, mais la vie finit toujours par nous éloigner de toutes nos anciennes préoccupations. « Loin des yeux, loin du cÅ“ur », c’est un peu ça.

Aujourd’hui, je rigole en écoutant « les justiciers masqués » de CKOI, les anciennes blagues de RBO (Rock et Belles Oreilles) que j’affectionne beaucoup. J’attends maintenant avec impatience, sitôt l’été terminé, l’ouverture de la saison de hockey pour suivre l’équipe des Canadiens de Montréal.

En allant plus loin, ne pourrait-on pas dire que c’est un autre signe d’intégration ? Car vivre à l’étranger sans couper le cordon ombilical avec son pays d’origine ne serait pas un signe de repli sur soi ? Je n’en sais rien, ce sont des questions que je me pose. Mais, dans le fond, lorsque l’on choisit de vivre ailleurs, ce n’est pas, non plus, pour continuer à vivre comme si on était encore dans son pays d’origine. Non ?

Pour ma part, je souhaitais continuer à suivre ce qui se passait en France et, malgré cette volonté, je m’aperçois aujourd’hui que le cordon s’est brisé tout seul. Est-ce que je m’en plaints ? Pas le moins du monde.

Malgré tout, ce qui est vrai pour l’actualité est vrai aussi pour les amis. L’éloignement, le décalage horaire, fait que les contacts se font plus sporadiques et que les amis « d’ici » demandent aussi du temps que l’on consacre de fait moins aux anciens.

Détachement total ? Non ! Dimanche, je vais me lever très tôt pour suivre en direct le match de demi-finale de rugby sur SportsNet. Allez les petits ! Allez les bleus !

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Bagages pour Montréal

Me voilà donc face à ma première « page blanche ». Face à cette première chronique, qui ressemble tant, dans le fond, à ce qu’est une immigration : une page blanche dans le livre de notre vie.

J’aime d’ailleurs souvent comparer la vie à un livre. Ou devrais-je dire à un ouvrage ! Le double sens de ce terme est beaucoup plus révélateur. On ne repart donc jamais de zéro. Notre passé est là, juste inscrit sur les pages précédentes. Changer de pays, c’est commencer un nouveau chapitre, commencer de nouvelles expériences. Mais notre vécu, lui, il est toujours bel et bien présent, jamais très loin.

Évidemment, une immigration, de nos jours, ne ressemble en rien à ce qu’ont connu nos prédécesseurs du siècle dernier. Finis les vieux cargos rouillés et surchargés qui déversent un flot d’immigrants européens sur le port de Montréal. Finies les longues files d’attentes pour faire étamper son visa. Même s’il est difficile de trouver un logement à Montréal, nous avons la chance de ne pas être entassés dans des entrepôts désaffectés le temps de trouver un travail.

Loin donc de ces images de documentaires historiques, l’immigration n’en reste pas moins une aventure et ça serait une grave erreur que de sous-estimer ce qui nous attend. Nos bagages, il faut bien les poser quelque part. Notre vie, il faut bien la reconstruire. L’erreur serait de penser que notre nouvelle terre d’accueil va s’adapter d’elle-même à notre arrivée, comme si elle n’attendait que nous. C’est à nous de faire l’effort d’adaptation à un nouveau style de vie, non pas l’inverse.

L’immigration n’est donc rien d’autre qu’une grande et belle aventure. L’aventure avec son lot de bonnes, mais aussi de mauvaises surprises. Ce qui est le plus frappant, je pense, c’est de constater le fossé qu’il y a sitôt que l’on passe du statut de « touriste » à celui « d’immigrant ». On voit les choses de manière tellement différente, comme si l’on redécouvrait une nouvelle fois le Québec. Même après huit mois passés ici, je me surprends parfois à me pincer en me disant : « Bon Dieu, je suis à Montréal ! C’est tellement dingue ! ». Mes bagages à moi sont donc posés. Mais l’aventure ne fait que commencer et ma page blanche a fini par se remplir, tout comme ma nouvelle vie ici…

Chronique parue sur le site immigrer.com en juin 2002